Tout paraissait tellement doux que l’idée même d’ouvrir les yeux n’effleurât même pas l’esprit de ce jeune homme dont le dos flirtait présentement avec un sol fertile, d’où poussait de magnifiques fleurs tantôt immaculées, tantôt quelque peu colorés. Il pouvait sentir le contact de leurs pétales délicats sur ses joues et la surface dorsale de ses mains a même le sol. Un sentiment de paix étrangement relaxant et qu’il n’avait plus ressenti depuis bien longtemps se diffusait de plus en plus en son être tout entier. Il aurait donné cher pour que les minutes, non, les secondes s’étirent à l’infini et que cette impression bienfaitrice ne lui soit jamais retiré. Ce que c’aurait été appréciable et jouissif de rester éternellement dans ce petit cocon de paix et de bien-être.

Et puis, après la satinée texture des plantes présentes alentours, ce fut au tour d’une paire de mains soyeuses et douces de venir glisser sur les pommettes du français. Les paupières toujours closes, Gabriel se laissât aller à un large sourire, qui dévoilait toutes ses dents, si brillantes. Il connaissait se toucher par cœur, comme s’il l’avait côtoyé toute sa vie. En réalité, à bien y regarder, c’était presque le cas. Une fragrance de miel s’invita à cette rencontre pour le moins atypique. Cette senteur aussi, il l’aurait reconnu entre mille.

C’était sa préférée. Elle l’a définissait tellement bien. Le cœur du tueur à gages battait à un rythme si détendu que son porteur poussât un léger soupire d’aise. Cette onomatopée fut bientôt escortée par un rire cristallin, qu’il connaissait tout autant que le reste, d’ailleurs. Ainsi, il ne fut pas le moins du monde surprit de sentir fondre dans ses tympans ces féminines vocalises que voici :

« Alors ? Tu as bien dormi, Gabriel ?
-Non, pas du tout… dit-il, les yeux toujours fermés, confiant.
-Vraiment ? Et pourquoi ça ?
-J’ai rêvé que l’on t’avait tué, Ashley, pendant une mission en Norvège.
-Ah oui ?
-Oui, c’était affreux. Je suis heureux que ce ne soit jamais arrivé..
-Et moi donc.
-Ashley ?
-Oui ?
-Je t’aime.
-Je t’aime aussi, bien plus que tu ne l’aurais jamais imaginé. »

Tit Tit Tit Tit Tit Tit

Les rétines de l’expatrié furent agressées par le trop plein de lumière solaire qui lui arrivait alors en pleine figure, monsieur ayant eu la flemme de fermer ses rideaux convenablement la veille au soir et en payant maintenant le prix fort. Ses fragiles tympans, eux aussi sauvagement attaqués par un réveil déréglé goutèrent vite à l’heure petite vengeance lorsque ce fourbe appareil fit un vol plané à travers la fenêtre. Oups, ouvrir la fenêtre avant de commettre ce meurtre aurait peut-être été une riche idée, aussi. A méditer pour la fois prochaine. Si fois prochaine il y a. Pas dit que ses logeurs du moment apprécient qu’il ait délibérément péter une vitre, m’enfin bon… Ceci était pour l’heure le dernier de ses soucis.

Passant une main dans sa chevelure, il constata bien vite qu’elle était humide. Le sens même de ce qu’il venait d’imaginer lui échappait totalement, mais une chose était sûr, il avait beaucoup transpiré. Immédiatement, son petit côté noble lui ordonnât d’aller prendre une bonne douche après avoir refait son lit et aérer la pièce. Quoi que, vu comme c’était parti, il était bon pour avoir une aération continue tout au long de la journée. Problème résolu, donc.

Une fois savonné et séché, il enfila une chemise dans les tons blafards et un jean délavé, le premier qui lui était tombé sous la main, pour dire vrai. Oui, il avait un peu la flemme de se fringuer correctement, en faisant bien gaffe aux accords, aujourd’hui. Bon, en soit, le résultat final n’était pas immonde non plus, mais il avait déjà fait mieux tout de même. Jugeant que, vu le soleil extérieur, il devait fait relativement doux, l’Hattstatt ne s’offrit pas la lubie de sortir avec une veste sur les épaules. En revanche, il n’omit pas la paire de lunettes adaptée à un tel temps, histoire que ses yeux ne souffrent pas d’avantage – et puis ça pétait la classe aussi, sur lui.

Au dehors, n’ayant pas encore faim, l’adolescent se dit qu’il se prendrait un petit déjeuner dans l’un des restaurants voisins après avoir fait un peu le tour du quartier, histoire de se changer un peu les idées. Ashley… Maintenant qu’il y repensait, pourquoi avait-il rêvé d’elle ? Elle lui manquait tant, cette parcelle de son enfance et de sa vie même. Il se remémora l’accident de Trondheim. Non, ce n’était pas un cauchemar. Pas plus qu’un accident. Mais pour l’heure, Sherlock avait surtout envie de faire abstraction de tout ça et de laisser libre cours à son instinct. Il eut tort, car il eut tôt fait de maudire cette chose-là qui l’avait mené, aller savoir comment, droit dans une boutique spécialisée dans la vente de fleurs et autres articles de botanique.

En soit, c’était un endroit comme un autre, alors pourquoi ne pas aller y jeter un œil ? Ce n’était pas comme s’il s’engageait à quoi que ce soit. Et puis, mal réveillé comme il était, peut-être qu’un tel lieu pourrait lui faire du bien et l’aider à émergé totalement de sa léthargie, lui donnant presque l’apparence d’un mort-vivant ne sachant ou aller exactement. La clochette de l’échoppe retentit alors qu’il posa un pied à l’intérieur et commença sa petite visite. Tiens, était-il déjà passé par ici auparavant ? Maintenant qu’il s’interrogeait lui-même, il n’aurait su le dire avec exactitude. C’est idiot, car cela restait un très bel endroit.
Son regard s’arrêta sur des pivoines rosées. C’était les favorites d’Ashley. Avant qu’elle ne trépasse, elle avait eu le temps de le dire à Gabriel, qui avait bien entendu, retenu le moindre de ces mots du début à la fin.

Plongeant dans ses pensées profondes, il se demandait bien également pourquoi il avait dit « Je t’aime » à l’Ashley de sa vie d’antan. N’avait-il pas été suffisamment honnête avec lui-même sur ce sujet sensible ? Quoi qu’il en fut-ce, la douleur qui le prenait à l’âme lui paraissait être un véritable poison. On sait souvent comment on a été affecté mais l’on ignore tout aussi souvent comme s’en débarrasser. Ce qui était problématique, dans son cas. Non pas qu’il n’assumait pas ses dires, mais savoir que l’on a été si bête et capter des choses si évidentes des mois plus tard, cela frisait le ridicule autant que le grand « n’importe quoi ».

Il fut brusquement interrompu dans ses méandres pensifs lorsqu’une voix, qu’il identifia immédiatement comme appartenant à une demoiselle, l’interpella. Surpris, il lâcha la fleur qu’il tenait jusqu’à présent du bout des doigts, se tourna à moitié vers la seule personne susceptible d’avoir prononcé ces quelques mots et déclarât et abaissant ses lunettes sombres sur le bout de son nez, avec un ton surpris :

« Euh… moi ? »

N’étant toujours pas très bien réveillé, il avait un peu de mal à admettre qu’on vienne lui adresser naturellement la parole, surtout un lundi matin. C’était tellement rare, enfaite. En plus, sans même y faire attention, il s'était exprimé en français, instinctivement. Quel boulet, décidément.

Le moins que l’on pouvait dire, c’était qu’une pile électrique n’aurait su détrôner la demoiselle devant lui de son statut de surexcitée. Maintenant qu’un flot de paroles avait été prononcé à un rythme qui aurait donné un mal de crâne carabiné à Einstein lui-même, il se dit que, peut-être, redescendre sur terre et être un tantinet plus attentif serait une bonne chose, sans doute. Ôtant donc ses lunettes de soleil de son délicat nez français, le petit noble se décida à accorder un peu plus d’attention à la jeune femme, soit autre chose qu’a lui-même. Ce qui était un exploit en soit.

Alors, que lui avait-elle dit, avant qu’il ne percute qu’un retour serait sans doute apprécié ? Le fait est que l’étranger n’en avait absolument aucune idée. Aussi, se mettant à réfléchir intensément, il tourna et retourna son problème dans tous les sens possibles et imaginables dans l’unique but de se sortir tout seul de ce mauvais pas. Bon, certes, lorsqu’il était en formation « d’agent », ont lui avait inculqué bien des façons de mettre fin à un guêpier dans lequel il aurait été susceptible de se fourrer… Seulement… Et bien le souci, c’est que niveau rapport humain, il n’avait pas reçu beaucoup d’instruction. Mais comme l’apprentissage et l’enseignement sont deux choses bien distinctes, forcément, il laissât parler son instinct parce que c’est bien connu, l’être humain est fait pour fonctionner de manière logique !

…. Ou pas.

Conscient qu’il n’avait pas vraiment un large choix de manœuvre à sa portée, l’Hattstatt se décida à employer celui qui lui paraissait le plus ahurissant, mais le plus drôle, aussi. Il espérait simplement qu’on ne le fasse pas interner suite à cela. Quoi que, il n’y avait pas de raisons ! Après tout, depuis quand se conduire de manière chevaleresque demeurait être étrange ? Lui, qui descendait directement d’une immense lignée de grands Ducs et Chevaliers ne voyait pas ou était le mal ! Ah... Egocentrisme mal placé, quand tu nous tiens…
Qu’importe. Voyant que son homologue féminin peinait à mettre la main sur un objet en particulier, Sherlock se décida à sortir le grand jeu. Aussi, s’emparant d’une fleur quelconque entre ses doigts fins, il vint poser un genou à terre, amena sa main libre sur son torse et, tout guilleret qu’il était maintenant – la fatigue s’étends maintenant miraculeusement envolée par Dieu sait quoi – il se mit à débiter une flopée de niaiseries de l’ancien temps, comme s’il était soudainement habité par l’âme d’un Hugo ou d’un Voltaire.

« Veuillez me pardonner ma distraction, Mademoiselle, mais votre somptuosité, n’ayant d’elle que la beauté de votre chevelure, m’emmurent tant et si bien que je ne sût quoi faire ou comment régir devant une pareille vision, si pure et auréolée de magnificence. Si vous pouviez me laisser une seconde chance de comprendre vos dires, je vous prie de croire, bel ange, que je ne ferais point la même erreur une seconde fois ! Aussi, je me permets également de vous proposer mon aide dans votre perdition à laquelle j’espère pouvoir mettre un terme définitif. »

Cette fois-ci, il s’était exprimé en italien de manière concise et appliquée. Pas fou non plus, il ne tenait pas réitérer la même erreur deux fois de suite ; Gabriel avait être un peu idiot parfois – et oui seulement parfois, mauvaises langues ! – mais tout de même, il y avait des limites, même pour lui !

Un magnifique sourire vint alors orner ses lèvres, le rendant on ne peut plus séducteur en cet instant, bien que ce ne fut-ce point l’objectif poursuivit, bien entendu. Il ne pouvait plus aimer, après tout.